Au fil de l’Irrawaddy, la Birmanie en cinémascope

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Les eaux jaunâtres et limoneuses épousent le vert éclatant des rizières, s’enroulent autour d’anciennes cités royales et frôlent de petits villages en bois oubliés du monde. Au pays des pagodes dorées, des monastères et des temples millénaires, le « Fleuve Mère » creuse une voie royale au cœur de la Birmanie intemporelle. Embarquez pour une croisière sur l’Irrawaddy et ouvrez grand les yeux !

« La Birmanie, un pays différent de tout ce que tu connais ». Plus d’un siècle plus tard, la promesse de Rudyard Kipling est toujours vraie. A ceci près que ce trésor oublié, que l’on dévoile enfin après cinquante années de dictature militaire, a été rebaptisé Myanmar en 1987. Suivre les méandres de l’Irrawaddy, ou Ayeryarwady, est sans doute la plus belle façon d’aborder ce singulier pays longtemps coupé du monde. On y remonte le temps sur les traces de royaumes oubliés et de brillantes civilisations, dont le génie a laissé un prodigieux patrimoine architectural. Ses eaux charrient mille légendes et autant d’histoires, celles, grandes ou petites, de la foule d’envahisseurs, de marchands, de missionnaires, d’aventuriers, de colons et d’écrivains qui empruntèrent ce qui fut pendant longtemps la seule voie de communication du pays.

Au fil de la remontée, on plonge dans le tableau vivant de la Birmanie éternelle avec ses pêcheurs affairés, ses femmes qui lavent le linge, ses paysans courbés dans les rizières, ses porteurs d’eau, ses enfants qui se baignent, ses troupeaux de buffles et d’éléphants… Sur les rives de l’Irrawaddy, la campagne birmane défile comme il y a un siècle. On découvre les traditions et les particularismes du souriant et très pieux peuple de Bouddha : les bonzes au crâne rasé, plus vénérés que des rock stars, et les nonnes toute de rose vêtues, les hommes dans leur longyi, le costume traditionnel birman, les mamies fumant le cheroot – un cigare birman – ou mâchant des noix de bétel, avec pour résultat un sourire rouge sang, et sous leurs ombrelles en papier, les élégantes habillées de thummys éclatants, les joues teintées de thanaka, le cosmétique miracle des Birmans. Paysages aux couleurs irréelles, splendeurs architecturales, traditions ancestrales, voilà les ingrédients d’une croisière sur le « fleuve des éléphants », dont le nom poétique provient des milliers de pachydermes qui peuplaient jadis ses rives.

Une navigation en pointillé

2 170 kilomètres, des glaciers himalayens au golfe du Bengale. Ce trait d’union naturel entre le nord et le sud du pays a placé l’eau au cœur de la vie des Birmans. Ses limons et sa plaine fertile en font une source de vie pour des millions d’hommes et de femmes depuis des millénaires. La meilleure époque pour naviguer sur l’Irrawaddy est la saison sèche qui s’étend de novembre à avril. On échappe ainsi aux grosses chaleurs et aux violentes intempéries qui frappent surtout le sud pendant la mousson. Autre argument, les moustiques sont moins abondants. On navigue de jour pour ne pas heurter un bateau sans lumière ou s’échouer sur un banc de sable. Le fleuve est accessible aux navires du delta jusqu’à Bhamo et aux petits bateaux jusqu’à Myitkyina. Toutefois, n’espérez pas faire l’intégralité de ce voyage car certaines zones, d’accès restreint, nécessitent un permis délivré par les autorités ou sont tout simplement interdites aux étrangers. Aussi, la plupart des croisières proposent un itinéraire de Mandalay à Bagan, ou inversement. Plus rarement, le départ se fait de Yangon, le trajet jusqu’à Mandalay ou Bagan se faisant généralement en avion. Des répliques des fameux paddle steamers de la légendaire Irrawaddy Flotilla Company, magnifiques bateaux à vapeur d’époque coloniale, naviguent à nouveau sur le grand fleuve birman. Des véhicules au parfum révolu qui s’accordent à merveille au rythme lent d’une croisière dans le berceau historique de la Birmanie. Le delta est un bijou à découvrir mais peu de touristes s’y aventurent encore.

Un inextricable labyrinthe de rivières emmêlées

L’Irrawaddy finit sa course dans la mer d’Andaman, où il s’éclate en un immense delta. Le fleuve trace ici une multitude de chemins d’eau et de marais que l’on explore en petit bateau local – des excursions possibles depuis Yangon. Les forêts de mangrove, les rizières, les îles, les cocotiers, les petites maisons en bois, les pieds dans l’eau, sorties de nulle part… le décor est splendide. Et la balade, terriblement dépaysante.

A cette extrémité de la Birmanie, on a la sensation d’être seul au monde. L’œil s’accroche aux bois noueux des palétuviers : on contemple ici les dernières mangroves sauvages de Birmanie. Ces remparts contre les tsunamis sont menacés de disparition, largement grignotés par les rizières. Le cyclone Nargis qui a dévasté le delta en 2008 l’a tragiquement rappelé à ses habitants, causant près de 140 000 morts. Au sud du delta, la réserve naturelle de Meinmahla Kyun tend à préserver ce précieux patrimoine. Couverte de mangrove, l’île marécageuse est un paradis pour les oiseaux et le lieu d’observation privilégié du redoutable crocodile de mer et du très rare dauphin de l’Irrawaddy, tous deux menacés d’extinction. Pour cette excursion, ne pas oublier les jumelles, la crème anti-moustique et la lampe torche, utile pour repérer les crocodiles la nuit.

Bain de foule à Rangoon

Le voyage débute loin des rives paisibles de l’Irrawaddy, dans le concert de klaxons de la trépidante Rangoon. L’ancienne capitale, rebaptisée Yangon en 1989, est reliée au bassin de l’Irrawaddy par le canal de Twante, creusé par les colons britanniques en 1881. Des centaines de bateaux à vapeur de l’Irrawaddy Flotilla empruntaient jadis cette voie de trente-cinq kilomètres pour acheminer bois précieux, rubis, jade, riz et soldats sur le grand fleuve. De cette époque, l’ancien grand port qu’était Rangoon a conservé de splendides reliques victoriennes, débauche de grandes façades décaties, de plantes grimpantes et de fils électriques entremêlés. Entre pousse-pousse, tea-shops improvisés sur le trottoir, stands de street-food et vendeurs de bétel, la balade dans les rues grouillantes du quartier colonial est savoureuse.

Mais c’est l’éblouissante pagode Shwedagon, juchée sur une colline, qui accapare tous les regards. Son stupa d’une centaine de mètres, tout ruisselant d’or, de diamants et de pierres précieuses, est le phare de la ville et le lieu le plus sacré du pays. Et pour cause, il abrite les reliques de plusieurs bouddhas. Il faut y grimper au coucher du soleil quand le stupa d’or scintille de mille feux et que les foules affluent. Dans un étourdissant concert de prières, d’offrandes colorées et de parfums d’encens, le spectacle de la dévotion est fascinant. Bien sûr, on ne repartira pas avant d’avoir salué le gigantesque bouddha couché de la pagode Chaukhtagyi.

On the Road to Mandalay…

En son temps, Marco Polo s’émerveillait déjà devant la plaine de Bagan et ses milliers de temples. Mystique, presque irréel, ce paysage grandiose longé par l’Irrawaddy est le point d’orgue de tout séjour au Myanmar. A pied ou à vélo, on chemine ici entre les vestiges du premier royaume birman, temples de briques, tour à tour immenses ou minuscules, édifiés entre les 11e et 13e siècles. Le survol de la plaine en montgolfière est plus coûteux mais inoubliable. Le site, d’une beauté incomparable, se savoure de préférence au coucher de soleil quand les milliers de stupas s’embrasent dans les dernières lueurs du jour.

L’autre émerveillement se produit devant les verdoyantes collines de l’ancienne cité royale de Sagaing, constellées de centaines de stupas dorés et de monastères. Un havre de paix et de verdure, lardé de petits chemins ombragés, où les moines en file indienne, bol serré entre les mains, attendent les offrandes.

Dans l’intervalle, on aura croisé la petite ville de Pakokku, avec ses tea-shops et ses fabriques de cheroots, et le village de potiers de Yandabo. En face de Sagaing, l’ancienne capitale royale d’Ava (Inwa) invite à se perdre en carriole à cheval au milieu de sublimes vestiges inscrits dans la nature, parmi lesquels le monastère de Bagaya en bois de teck. L’escale à Amarapura permet de fouler le plus long pont en teck au monde, la passerelle sur pilotis U Bein qui enjambe le lac Taugthaman sur 1,2 kilomètre. Surgissent enfin les palais et pagodes de la dernière capitale royale birmane : Mandalay la pieuse, chantée par Kipling, Orwell et Sinatra. La cité emblématique du bouddhisme theravāda dissimule maintes richesses : la pagode Mahamuni et son bouddha de 4 mètres, l’un des plus vénérés du pays, le monastère en bois de Shwenandaw, la pagode Kuthodaw dont les marbres sculptés forment le plus grand livre du monde, Kyauktawgyi et son bouddha de 900 tonnes, sans oublier le rutilant marché de Jade, l’un des plus grands au monde.

Peu nombreux sont les touristes à s’aventurer au nord de Mandalay. Si ce n’est pour aller se mesurer à la célèbre pagode inachevée de Mingun, qui devait devenir la plus grande pagode au monde : 153 mètres de haut… pour accueillir une dent de Bouddha ! Ou faire un pèlerinage littéraire à Katha, où vécut l’écrivain britannique George Orwell et toile de fond de son roman Une histoire birmane… escale ultime et poétique dans ce voyage à contre-courant sur les eaux boueuses et mystérieuses de l’Irrawaddy.

PRATIQUE

Le croisiériste venant d’Europe atterrit généralement à Yangon, mais également à Mandalay. Une ou deux nuits sont à prévoir pour la visite de Yangon, Mandalay et Bagan pour découvrir plus facilement les sites.

Un visa de court séjour touristique de 28 jours est nécessaire. Une demande préalable peut-être faite en ligne, au minimum 3 jours à l’avance. Le visa vous est délivré à votre arrivée (prévoir du temps d’attente). Si votre vol aller-retour est compris dans votre réservation de croisière, le voyagiste s’en occupera pour vous. Plus d’infos : www.visa-en-ligne.com/pays/birmanie.php

En indépendant, étant donné la faible capacité hôtelière du pays, il vaut mieux réserver à l’avance son hébergement. L’utilisation de la carte de crédit est peu répandue, il faut donc disposer de moyens numéraires suffisants avec des billets en bon état.

PRATIQUE

La croisière fluviale sur l’Irrawaddy est l’une des plus populaires d’Asie. Ce sont généralement des croisières haut de gamme, donc chères, qui varient suivant la compagnie, la durée du voyage, la saison et l’affluence de touristes, ainsi que les excursions proposées.

Le fleuve est navigable sur environ 1 400 kilomètres jusqu’à son embouchure. C’est en août, lorsque les neiges de l’Himalaya fondent, que l’eau est suffisamment haute, que les navires de croisière fluviale peuvent se rendre jusqu’à Bhamo, dans le nord sauvage du pays, près de la frontière chinoise.

Une navigation sur la voie principale de Mandalay à Bagan ou de Bagan à Mandalay, ne prend en général que trois à quatre jours, mais un forfait complet comprendra des hôtels et d’autres sites touristiques à Yangon, Mandalay, Bagan ou au lac Inle, célèbre pour ses bateaux de pêcheurs à rames.

Extension possible depuis Bagan : rejoindre en bus le lac Inle et se laisser porter au gré des marchés flottants, puis explorer les grottes de Pindaya aux 8 000 bouddhas.

Le retour depuis Bagan, se fait en bus ou en avion jusqu’à Yukon.