Arctique, le passage du Grand Nord

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Depuis 2007, chaque année en été, les compagnies de croisières guettent la fonte de la banquise Arctique ouvrant un corridor entre océan Atlantique et océan Pacifique au delà du cercle polaire. Favorisé par les effets du réchauffement climatique sur la fonte de la banquise, l’Arctique devient plus facile d’accès aux bateaux brise-glaces ou non sur les deux routes maritimes transarctiques : du nord à l’est partant de Russie vers l’Asie ; du nord à l’ouest allant du Groenland à l’Alaska.

Les chenaux plus ou moins étroits et profonds des Territoires du Nord-Ouest se libérant un peu plus chaque été, la destination du Grand Nord canadien est devenu très attrayante. Après l’explorateur norvégien Amundsen qui franchit le premier le passage du Nord-Ouest en 1906 puis un premier voilier de plaisance en 1977, depuis, des dizaines de bateaux d’exploration polaire ont réalisé ce parcours réputé difficile mais combien extraordinaire.

Le passage du Nord-Ouest est ouvert.
Mon rêve d’enfance vient de se réaliser…

Extrait du journal de bord de Roald Amundsen

25 août 1906

Météorologie et climat obligent, c’est en saison d’été, pour quelques semaines par an, que l’itinéraire mythique du passage du Nord-Ouest dans le Grand Nord canadien est proposé aux croisiéristes. Malgré des tarifs élevés – dus au coût des bateaux spécifiques à la coque renforcée, des acheminements particuliers et de la durée des croisières -, la beauté primitive d’une nature et de paysages éprouvés par la force brute des éléments, attirent de plus en plus de passionnés des pôles et d’expédition extrême.

Du Groenland aux Territoires du Nord-Ouest

Parce que la destination est nouvelle et proposée en toute sécurité sur des bateaux de croisières confortables et plutôt haut de gamme, avec conférences de découverte de la faune et de la flore arctique ainsi que des traditions des peuples Inuits, une centaine de passagers embarquent pour une croisière d’exploration de trois semaines du Groenland à l’Alaska par le passage du Nord-Ouest, chaque année, fin août, période la plus propice. Malgré cela, la route tracée par le commandant peut-être remplacée au dernier moment car la cartographie des glaces évolue chaque jour. L’aide d’un brise-glace canadien peut même être parfois nécessaire pour ouvrir la voie de Pond-Ilet jusqu’à l’île Victoria.

L’embarquement se fait généralement, depuis l’Europe, à Kangerlussuaq terre de centaines de localités Inuits du Groenland. Puis le navire passe le cercle polaire arctique et remonte le détroit de Davis dans les glaces impressionnantes du fjord de Ilullissat, classé au patrimoine mondiale de l’UNESCO ; s’approche du fascinant cimetière d’icebergs de la calotte polaire dans la baie de Melville, avant d’entreprendre la traversée de la mer de Baffin pour rejoindre les terres Nunavut au Canada. De ces terres Inuits, il prend la direction de l’Alaska et s’aventure dans les imprévisibles passages des Territoires du Nord-Ouest.

De Nunavut aux Territoires du Nord-Ouest

Au large de Pond-Ilet, des narvals s’enfoncent dans le fjord étroit du Tremblay Sound. Le premier ours polaire nage à proximité de l’île de Devon, un immense front glaciaire en pente douce qui s’effondre sur lui-même. Puis le paquebot fait route vers l’ouest en empruntant le détroit de Lancaster marquant le début du passage du Nord-Ouest. A cet instant, la croisière s’insinue dans les eaux difficiles subies par les explorateurs Franklin et Amundsen, et qui sont aujourd’hui accessibles au commun des mortels. Néanmoins, aucun itinéraire précis ne peut se prédire à l’avance. Les chenaux s’ouvrent, se déforment, se referment… le dédale de golfes, bassins et détroits vit au rythme des débâcles et des embâcles, et trace chaque jour une nouvelle carte dans les passages des Territoires du Nord-Ouest.

Dans le fjord de Dundas Harbour un ours se laisse observer sur son replat de glace où il se roule, s’étire, se redresse et se recouche. Le moment est magique ! Cap sur l’île Beechey qui accueillit la tragique expédition de John Franklin en 1845. A partir du détroit de Barrow, le navire sinue entre les îles de Somerset jusqu’à Fort Ross par le détroit du Prince Régent et celui de Franklin jusqu’à la baie Conningham où il s’ancre, le temps d’une balade en zodiac pour pister un béluga et découvrir une jeune ourse et ses petits.

Prochaine escale l’île Victoria en adaptant le parcours aux caprices de la mer gelée – une jeune banquise de l’année peu solide ou plus ancienne donc plus dangereuse et à éviter. Entre les reflets turquoise de la glace et le phénomène lumineux appelé « arc blanc », les paysages évoluent à toute vitesse entre soleil et brouillard et les chenaux se referment en quelques minutes. Longeant le détroit de Victoria, le navire pénètre le golfe de la Reine Maud puis s’engouffre dans le détroit de Dease et la baie de Byron. Le vent monte et les rouleaux déferlent. Cap sur l’île d’Edimbourg et ses falaises Brabant Bluffs, pour une promenade botanique. Dans la nuit, une aurore boréale aura la grâce d’apparaître aux passagers.

Derniers jours dans le Grand Nord

Au débouché du Détroit Dolphin et Union, la baie d’Hulukhaktok un village Inuit isolé à l’extrême – ils sont les seuls à être capables de vivre en totale harmonie avec cette nature hostile. Enfin, la traversée du golfe d’Amundsen, limite finale du passage du Nord-Ouest où la banquise a été peu présente.

L’île Herschell est la dernière escale canadienne en Territoires de Yukon. L’ancienne station baleinière est devenue un parc naturel protégé. Pour atteindre la pointe Barrow au nord de l’Alaska, il faut affronter la terrible mer de Beaufort redoutée des explorateurs, mais avec leurs stabilisateurs les paquebots aident nettement à l’amarinage. A Barrow, point de vue inédit sur les « collines fumantes », des pans instables de roche schisteuse qui s’enflamment au contact de l’air en produisant des panaches de fumée. Une fois la pointe doublée, le bateau entre dans la mer des Tchouktches, repasse sous le cercle polaire arctique puis s’engage dans le détroit de Béring, entre océan Atlantique et océan Pacifique, où se font face les territoires russes de Sibérie et américains d’Alaska. Au centre les Iles Diomède, deux sentinelles géographiques et géopolitiques de ce « carrefour du bout du monde ». En mer de Béring agitée, le bateau se lance dans une dernière tentative jusqu’aux îles Saint-Laurent et ses colonies d’oiseaux nichés sur les falaises, puis débarquement à Nome, première escale d’Amundsen mais aussi le terme de ce voyage riche de découverte et d’expérience, où aucune journée ne se ressemble. Unique !

/ ENVIRONNEMENT

Le succès de ces croisières polaires ont un impact irrémédiable sur l’écosystème marin s’alerte le spécialiste des pôles, Jean-Louis Etienne : « l’activité biologique est très lente car recouverte six mois par an de neige. Les oiseaux et les caribous se nourrissent de mousse et de lichens qui vont disparaître si on commence à les piétiner. Il faut donc que les croisières soient bien encadrées pour être raisonnables. »

Un souci partagé par les compagnies de croisières polaires membres de l’Association of Arctic Expedition Cruise Operators, destinée à garantir des croisières d’expédition respectueuses de l’environnement naturel, des cultures locales et des traditions des populations autochtones. L’Organisation Maritime Internationale a adopté le Recueil sur la navigation polaire, afférant à la sécurité des navires et à la protection de l’environnement, entré en vigueur en 2017 et devenu obligatoire le 1er janvier 2018. En attendant la mise en place du très attendu code polaire de l’ONU.